Les femmes nantaises de l'entourage de Jules Verne

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De nombreuses femmes, souvent méconnues, ont accompagné la jeunesse de Jules Verne : sa mère, Sophie Allotte de la Füye ; ses sœurs, Anna, Mathilde et Marie ; ses tantes paternelles ainsi que ses amours de jeunesse : Caroline Tronson et Herminie Arnault-Grossetière. Les parcours de ces figures féminines nous sont parvenus grâce à la correspondance qu'entretient Jules Verne avec sa famille. Ces lettres renferment de précieuses informations pour entrevoir leurs occupations et leurs préoccupations. Tout en contribuant à la connaissance intime de Jules Verne, ces indices permettent de comprendre plus largement le quotidien des femmes de la bourgeoisie à son époque en dévoilant  l'importance du rôle d'épouse et peut-être plus encore celui de mère.
 

La place des femmes dans la bourgeoisie du 19e siècle

Grâce à la charge d’avoué de Pierre Verne et aux origines aristocratiques de Sophie, les cinq enfants de la famille Verne grandissent au sein de la bourgeoisie nantaise. Ils sont influencés par les valeurs de ce milieu social s’agissant notamment du mode de vie et des rapports qu’entretiennent entre eux les hommes et les femmes. 

Au 19e siècle, la famille devient le maillon central du modèle bourgeois qui prône une répartition des rôles où la place des femmes est souvent limitée au foyer domestique. Cette position sociale s’institutionnalise sous l'Empire puis sous la Restauration ; la femme devenant une "éternelle mineure"  toujours soumise à la tutelle d'un homme, son père ou son mari (Code civil de 1804). Ce discours, soutenu par la médecine et la religion, participe au renforcement de la domination masculine au cours du 19e siècle. Néanmoins, bien qu’elles soient également exclues de la vie politique (suffrage universel masculin institué en 1848), elles jouent un rôle actif au moment des révolutions. Des mouvements féministes apparaissent et luttent pour les droits civils et le droit de vote des femmes.
 

L'éducation d'Anna, Mathilde et Marie VerneCarolineTronson.jpg

Jules et son frère Paul suivent une instruction dispensée à l’école : au pensionnat de Madame Sambin puis dans différents établissements (école Saint-Stanislas, petit séminaire de Saint-Donatien, Collège royal). En revanche, nous possédons très peu d'éléments pour reconstituer le parcours éducatif de ses sœurs. Bien que l'enseignement devienne un véritable enjeu national au 19e siècle, les réformes concernent essentiellement la scolarisation des garçons. Aussi, les sœurs de Jules Verne ne bénéficient-elles pas de ces évolutions et reçoivent certainement, comme la plupart des jeunes filles de cette époque et de leur milieu social, un enseignement à domicile prodigué par la mère de famille. Il existe néanmoins des pensionnats, souvent religieux, qui ont vocation à accueillir des jeunes filles. C'est le cas pour Caroline Tronson, à qui l’auteur adresse des mots à travers le portail de l’établissement.

Nous savons qu’Anna Verne joue du piano ou que les trois sœurs accompagnent leurs parents, lors de sorties aux bains de mer ou aux bals organisés à Nantes. Dès l’enfance, les "petites filles", tel que les nomme Jules dans ses lettres, apprennent avec leur mère à devenir "des demoiselles" qui fréquenteront les bals pour y faire des rencontres, deviendront des épouses et des mères. Dès lors, nous pouvons supposer qu’elles suivent l’apprentissage commun aux jeunes filles du 19e siècle : géographie, lecture, histoire, musique ou encore broderie. Avec l’essor de la presse apparaissent également des manuels éducatifs pour guider l’apprentissage des jeunes filles comme le Journal des demoiselles, La Poupée modèle...

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La religion occupe aussi une place essentielle dans l'éducation des jeunes filles de la bourgeoisie. La première communion des filles Verne devient ainsi un véritable rite de passage marquant leur entrée dans la vie adulte. Le poème que Jules adresse à sa sœur Marie à l'occasion de sa première communion en 1854 révèle également l'importance accordée à cette cérémonie religieuse.

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Le quotidien des femmes de la bourgeoisie au 19e siècle

Par la correspondance familiale, nous savons que Jules Verne est très proche de ses parents et  en particulier de sa mère. Ces lettres dressent le portrait d'une mère souvent inquiète pour ses fils, Jules et Paul, et qui semble passer une grande partie de son temps avec ses filles : Anna, Mathilde et Marie. Dans l’idéal bourgeois, la principale destinée des femmes est le mariage. Les bals sont l'occasion d'arranger des alliances matrimoniales lorsque les jeunes filles sont en âge de se marier. Jules décrit avec ironie ces bals et cette condition feminine : "Voilà seulement à quoi peuvent servir les enfants, c'est à mener leur père et leur mère au bal […] Si ces demoiselles étaient des  garçons et si Paul et moi nous étions des filles, la situation serait bien différente en effet. Nous serions évidemment très jolies, nous aurions de grands yeux, une taille élégante et flexible, de l'esprit, de la grâce. Nous aurions déjà fait tourner la tête à la fleur des dandys nantais, nous serions mariés depuis 7 ou 8 ans. Nous serions probablement battus, nous posséderions des traînées d'enfants et vous n'iriez plus au bal, mes chers parents." (Lettre de Jules Verne, le 21 juin 1855

Les jeunes femmes se parent alors de belles toilettes. L’évolution de la mode au 19e siècle est conditionnée par les transformations successives de la silhouette féminine. Celle-ci est marquée par des changements de plus en plus rapides à mesure que l'on avance dans le siècle et que la démocratisation de la mode progresse. De nombreux marqueurs varient selon les périodes : la position de la taille, la coupe des manches ou encore la forme des jupes. Ils font ainsi alterner des silhouettes en colonne, comme sous l’Empire ou dans les années 1878, et des silhouettes en sablier, marquant la taille et faisant enfler les jupes, comme pendant la période romantique des années 1830. Tout au long du siècle, le corps de la femme est systématiquement transformé, pour devenir un corps de mode aux formes sculptées par les vêtements. 

Le mode de vie bourgeois entre 1850 et 1930 repose fortement sur le paraître. Convenances et bienséance sont la règle à table. La meilleure façon d'afficher sa réussite sociale est de recevoir à la maison, soit pour le thé ou lors d’une réception plus éclatante. Des manuels de savoir vivre comme le Manuel complet de la maîtresse de maison et de la parfaite ménagère (1826) sont également publiés pour guider les femmes dans cette tâche. 

Les informations transmises par le biais de nombreuses lettres, portent à croire que Sophie Verne occupe une place conforme à l'idéal bourgeois de cette époque : une mère dévouée à l’éducation de ses enfants et une épouse gérant le foyer familial. Dans un poème que Jules lui adresse, ce dernier exprime sa gratitude et reconnaît l'importance du rôle maternel : "elle cultive avec soin son esprit, l'enseigne à la vertu, le dirige, l'instruit. Voilà ce que t'a fait ta mère bienfaisante." (Poème de Jules Verne écrit à l’attention de sa mère vers 1842). 

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