Pour écrire Mathias Sandorf, publié en 1885, Jules Verne s'inspire de ses propres croisières de 1878 et 1884 en Méditerranée. Le premier titre du roman est d'ailleurs précisément Méditerranée, comme on peut le lire sur le manuscrit.
Et Mathias Sandorf alias Docteur Antékirtt sur le pont de sa goélette la Savarena fait immanquablement penser à Jules Verne lui-même à bord de son yacht le Saint-Michel III.
À ses propres impressions et souvenirs Verne associe, selon ses habitudes de travail, une abondante documentation puisée en particulier dans les publications de Charles Yriarte, notamment Les Bords de l'Adriatique et le Monténégro : Venise, l'Istrie, le Quarnero, la Dalmatie, le Monténégro et la rive italienne (1878). Il peut ainsi par exemple décrire avec la plus grande précision la petite ville et la forteresse de Pisino (actuel Pazin en Croatie), d'où s'évade Mathias Sandorf au début du roman.
Sur cette toile de fond géographique et maritime, fil rouge de ses romans, Verne ambitionne en outre de faire de Mathias Sandorf "le Monte-Cristo des Voyages extraordinaires", qu'il dédie aux Dumas père et fils "comme un témoignage de ma profonde amitié". Les deux hommes l'avaient en effet soutenu à ses débuts parisiens et littéraires.
S'il n'égale vraiment ni ce modèle revendiqué, ni la puissance épique d'autres héros verniens comme le capitaine Nemo ou Michel Strogoff, Mathias Sandorf n'en offre pas moins à ses lecteurs une grande richesse et variété thématique : fantastique scientifique, utopie sociale, énigme codée… et même sinon surtout histoire, géopolitique et droit des nationalités face aux impérialismes, dont Laure Lévêque nous propose une lecture dans son article : "L’Euro-Méditerranée de Mathias Sandorf (1885) : de la rhapsodie hongroise à la symphonie pour un nouveau monde" (Babel Littératures plurielles, 36/2017 ).